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Y'EN A MARRE ! COUP DE GUEULE n°N+1

29 mai 2022

N+1 car on a arrêté de les compter…

On aimerait sincèrement éviter d'être porteurs de mauvaises nouvelles (qui plus est après une actu alertant sur un joli cas de pollution de l’eau…). Cependant, force est de constater que les habitudes moyenâgeuses de certains auront toujours raison des infos réjouissantes.

Mais alors, que s’est-il encore passé ?

Samedi 28 mai, deux de nos membres réalisaient une prospection ornithologique dans le Sud de Neufchâteau, lorsque leurs yeux ont été attirés par un spectacle des plus lamentables, pourtant monnaie courante dans la campagne lorraine : un corvidé mort avait été pendu à un piquet par les pattes et installé dans un champ de maïs, dans le but probable de dissuader d'autres corvidés de s’approcher de la parcelle. Malheureusement, cette pratique d’un autre âge est encore assez courante, et lorsqu’il s’agit d’espèces classées « Nuisibles » - pardon, « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD) - ne peut pas faire l’objet d’une plainte.
Sauf que… la petite taille de l’oiseau a interpellé nos camarades qui, après vérification et l’examen du cadavre, ont identifié un Choucas des tours (Coloeus monedula - cf photo).
 
Or, cette espèce est protégée et ne fait l'objet d'aucune dérogation dans le secteur. Il s’agit donc là d’un cas de destruction illégale, qui plus est en pleine période de reproduction...

LOANA a immédiatement signalé cette infraction à l’Office Français de la Biodiversité (OFB) qui l’a rapidement prise en compte. Ce n’est que le début, car nous sommes résolus à nous porter partie civile pour cette affaire. Pas de bol donc pour le fâcheux qui a réalisé ce triste épouvantail, il devra répondre de ses actes devant la justice.

Pour la petite histoire, LOANA s’était déjà retrouvée face à un cas similaire en 2020 sur la commune d’Aingeville (88), à deux pas, pour lequel elle s’était là-aussi portée partie civile.

Face à une nouvelle affaire de ce genre, il apparaît donc nécessaire de faire certains petits rappels pédagogiques :

     1 - Non, tous les "Becs Droits" ne sont pas des corbeaux...

En France, la famille des Corvidés regroupe plusieurs espèces. Le Corbeau freux (Corvus frugilegus), la Corneille noire (Corvus corone), le Geai des Chênes (Garrulus glandarius) et la Pie bavarde (Pica pica) en sont les représentants les mieux connus du grand public. Mais, si ces 4 espèces sont effectivement chassables et classées « susceptibles d’occasionner des dégâts », ce sont les seules des 10 espèces de corvidés de France ayant ce statut. Les 6 autres sont protégées par la loi. Le Choucas des tours est donc protégé et inscrit à l’Annexe II/2 de la Directive européenne 79/409/CEE, dite « Directive Oiseaux » (Source : INPN, LPO, Crow Life). En plaine vosgienne, deux de ces espèces protégées sont présentes : le Choucas des tours, donc, ainsi que le Grand Corbeau (Corvus corax).

Ajoutons qu’en plus d’être protégé, le Choucas des tours semble accuser un déclin à l’échelle nationale entre 1989 et 2003, confirmé en 2015 (Source : LPO), qui laisse craindre un statut de conservation précaire pour l'espèce et justifie par là-même sa protection.

Si le Choucas des tours fréquente les mêmes milieux que la Corneille noire et le Corbeau freux pour se nourrir, il s’en distingue pourtant tout d’abord par sa silhouette plus petite (c’est le plus petit Corvidé de la région), et par son bec beaucoup plus court. Sa coloration est gris foncé, avec les côtés du cou et de la nuque plus pâles, lui donnant de jolis reflets argentés. Autre caractéristique immanquable, ses yeux sont gris perle, voire bleus.
 
Son comportement de reproduction diffère également : il dépend en effet de cavités, contrairement à ses deux proches cousins, qui construisent leur nid dans les arbres. Il niche ainsi dans les falaises, les carrières ou les arbres creux, mais on le voit surtout nicher dans les vieux bâtiments des villes et villages ou dans les cheminées (Sources : DEOM, 1984 ; GARIBOLDI et AMBROGIO, 2018 ; SVENSSON et al, 2014).

Moralité, pour confondre un Choucas avec un autre corvidé, il faut y aller !

    2- "Dura lex, sed lex"... 

Au grand dam de certains, il existe des lois, pas si contraignantes que cela, qui protègent certains animaux sauvages. Ainsi, bousiller une espèce protégée sans autorisation peut aboutir à quelques 15 000 € d’amende. Il s’agit en effet purement et simplement de braconnage.

Une personne manipulant des animaux sauvages vivants ou morts se doit donc de connaître la législation concernant les espèces auxquelles elles appartiennent, et a fortiori devrait au préalable savoir les identifier

    3- Lorsqu’une tradition est nulle, il faut bien qu’on la bouscule !

Rappelons aussi que NON, pendre des corvidés (peu importe l’espèce) dans une culture ne va pas faire fuir les survivants de son espèce. Le Choucas, la Corneille noire ou le Corbeau freux ne vont pas se dire « ouhlà, il n’est pas commode le gars qui a planté du maïs ici ! » et changer de secteur. Nous ne voulons pas dire par là qu’ils ne sont pas intelligents (l’intelligence des corvidés n’est plus à démontrer et a fait l’objet de nombreuses études), mais tout simplement qu’ils ne raisonnent pas comme nous.

Pendre ou crucifier des corvidés dans un champ relève du même acabit que cette folklorique « tradition des anciens » qui consistait à clouer les rapaces nocturnes sur les portes pour chasser les mauvais esprits : c'est de la superstition pure.
 
Encore aujourd’hui, les Corvidés ne sont pas les seuls bouc-émissaires : rappelez-vous, en 2019, un habitant de Meurthe-et-Moselle avait été pris sur le fait après avoir pendu une Buse variable empaillée (espèce elle-aussi protégée) à proximité d’un poulailler. Certes, il s’agissait d’un oiseau empaillé, la personne n’était donc pas coupable de délit de braconnage ("seulement" de recel d'espèce protégée naturalisée sans autorisation...), mais on peut se demander comment de tels raisonnements peuvent bien encore se dérouler dans la tête de français du XXIème siècle ?

    4 - De l'inutilité totale de faire des "exemples" avec des cadavres
 
Concernant le Choucas des tours, cette pratique est encore plus inutile, car s’il est omnivore et peut en effet se nourrir de graines, il a été démontré qu’en période de reproduction - de mars à juin -, l'espèce se nourrit majoritairement de petits invertébrés (criquets, scarabées, mouches, vers de terre, araignées...), donc aucun risque pour les cultures !

En mars–avril, période de semis printaniers, si l’on peut effectivement observer des Choucas dans les champs, il y a donc peu de chance qu’ils soient en train de boulotter du maïs… Certes, il a été noté que le régime alimentaire des poussins se diversifie lorsqu’ils grandissent, et que la part de graines consommées augmente. Mais, à la période où les jeunes sont déjà grands et granivores, le maïs a, lui aussi, bien eu le temps de grandir et n’a plus rien à craindre du petit Corbeau aux yeux bleus, ni des autres Corvidés en général (Source : d'après CHAMBON et DUGRAVOT, 2022 ; CROW Life).

    5 - Et si on arrêtait un peu la barbarie ?
 

Enfin, notons qu’il existe des solutions naturelles et moins barbares que de piéger ou de pendre des Corvidés pour éviter qu’ils ne fréquentent trop les cultures au moment des semis : favoriser les prédateurs de ces espèces (Milans, Éperviers, Autours) en plantant et/ou en maintenant des haies qui fractionnent le paysage et obligent les grands groupes d’oiseaux à se diviser, et en gardant au maximum un couvert herbacé, par exemple.
 
Pour terminer, on peut préciser que ce fait ayant lieu au cours de la période de reproduction, il est à parier que la mort d’un adulte a entraîné un échec de reproduction et la mort inutile de trois ou quatre oisillons...
 
A la vue de ces arguments, et de l’historique d’une affaire semblable sur le même territoire, nous espérons que notre plainte portera ses fruits et que les Choucas ne seront plus la cible de tels comportements répréhensibles et aberrants.

A bon entendeur, et affaire à suivre, donc.

La Team Loanienne, solidaire des Choucas morts au champ d’horreur...


P.S. : si le sort des Choucas des tours vous émeut, vous pouvez aussi signer cette pétition mise en ligne par l’association Crow Life / Centre de Recherche et Protection des Corvidés contre la mise en place d’un arrêté préfectoral de dérogation à l’interdiction de destruction de 635 Choucas des tours en Maine-et-Loire : https://www.crowlife.org/2632-2/


BIBLIOGRAPHIE 

ont servi à la rédaction de cette newsletter, et pour en savoir plus :

CHAMBON R et DUGRAVOT S., 2022, « Acquisition de connaissances sur l’écologie du Choucas des Tours (Corvus monedula) en région Bretagne », Université de Rennes 1, Unité Boréa, 106 p.
DEOM, P, 1982, « Maudits Corbeaux », La Hulotte n°50, 44p.
GARIBOLDI A. et AMBROGIO A., 2018, « Le comportement des Oiseaux d’Europe », Les Editions de La Salamandre, Neuchâtel, 576p.
GIRAUD M, 2014, « Comment se promener dans les bois sans se faire tirer dessus », Allary éditions, 187 p.
SVENSSON L., MULLARNEY K. et ZETTERSTRÖM D., 2014, « Le Guide Ornitho », Editions Delachaux et Niestlé, 446p.
https://www.crowlife.org/statut-juridique-des-especes-de-corvides-en-france/
https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/4494/tab/statut
https://www.crowlife.org/le-choucas-des-tours-charge-a-mort-et-a-tort/
https://www.lpo.fr/decouvrir-la-nature/fiches-especes/fiches-especes/oiseaux/choucas-des-tours
https://www.bretagne.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/choucas_rapport_dreal_final_fevrier2022.pdf

Photo : © M.Colombat