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Des Petits gravelots à vau l'eau sur la Moselle sauvage...

17 mai 2023

 Le soleil se lève à peine… Un halo brumeux entoure encore ce bout de Moselle indomptable...

Les bancs de galets dispersés sur cette artère de vie rythment la présence du sauvage.

La Moselle a le temps pour elle… Elle s’étire, distille la vie parfois avec phlegme, parfois avec fougue…

Nous sommes venus à trois ce matin sur ses rives pour goûter au spectacle.

Près du pont, Loïc tend la caméra thermique à Cathy (la conservatrice de ce petit paradis sauvage…) et nous rappelle que nous ne sommes pas venus seulement pour contempler le beau et le sauvage.

Paradoxe du naturaliste dans ce monde moderne, ne plus avoir le temps de contempler... Essayer de mettre en défends le maximum de nids de n'importe quelle espèce en un minimum de temps. Les finances nous sont comptées...

Triste réalité ! Mais ce matin, notre temps aussi est compté, chronométré… Nous sommes venus tester la recherche des cantonnements de Petit gravelot, avec des caméras thermiques. Les premiers rayons du soleil frapperont rapidement les galets, et les réchaufferont assez pour que l’on ne puisse plus détecter aussi facilement la présence du petit prince des galets.

Cathy nous a facilité « le marathon des bancs d’alluvions » que nous devons réaliser ce matin, en cartographiant les bancs où la présence de l’espèce a déjà été recensée par le passé et pour lesquels les risques de dérangements liés à la baignade et au farniente sont des problématiques récurrentes.

La méthode est assez simple. Deux caméras thermiques permettent aux observateurs de distinguer toute forme de vie via la chaleur diffusée.

Dès le premier banc, les résultats sont à la hauteur de nos espérances ! Trois petits chevaliers des galets se donnent la joute et se poursuivent de façon effrénée sur la grève.

Quid ? 3 oiseaux pour 1 couple, c’est possible ? Et bien chez le Petit gravelot, oui ! Malgré son caractère belliqueux et sa territorialité affirmé, les trinômes sont visiblement légion pour l’espèce, avec même participation du troisième oiseau dans la couvaison et l’élevage des jeunes.

Cela nous complique un peu la tâche car il nous faut sexer les oiseaux, d’où l’importance d’avoir sur l’épaule également une longue-vue. La présence chez un des trois oiseaux d’un masque parotique un peu plus flou à l’arrière de l’œil caractéristique des femelles nous confirme qu’il n’y aura qu’un seul couple sur ce banc !

Next, on passe au banc suivant…Loïc avec la thermique identifie un tout petit point de chaleur. Je me mets à chercher à la longue-vue sur ses indications. Pas facile d’identifier un galet un peu plus rose au milieu des galets roses…J’ai beau chercher, je ne vois rien… J’abandonne très rapidement et lui laisse la longue-vue, qu’il peut ainsi coupler avec la thermique. 5 secondes plus tard, il annonce : Y’en a une, elle couve là, derrière la grosse pierre sur le haut replat proche de la touffe de végétation! Là, on reste un peu ébahis tous les trois par la facilité-rapidité de recherche que procure la thermique.

Next… Loïc remet les couverts et annonce deux oiseaux. Là, je les vois tout de suite. Qu’importe le temps qui est compté. Tel Lamartine, Je le laisse "suspendre son vol" et je me fais plaisir… J’observe avec toute mon attention la scénette qui se joue sous mes yeux… Je me targue d’un « Oh ! C’est rigolo ! Le mâle se lève, soulève sa queue, alors que la femelle dispose sa tête en-dessous comme en signe de soumission ! ». Sur le moment, j’interprète ce comportement comme une parade nuptiale, un prélude aux jeux de l’amour… Mais en fait, il n’en est rien. Les jeux sont déjà faits… Je lirais plus tard que c’est un comportement typique de début de couvaison lors du relais effectué entre l’oiseau couveur et celui qui vient le relayer.

Next… Loïc localise à nouveau très rapidement un couveur. Bizarre quand même… On dirait bien que c’est le mâle qui couve. On reste un peu dubitatif… T’es sûr, c’est un mâle ? Bah, ouais… T’as raison, c’est bien un mâle… "Chelou", non ? Et bien non, on apprendra encore plus tard que la couvaison est l’apanage des deux sexes, sans distinction. Un beau modèle de parité pour l’homme moderne !

Next… On apprécie un mâle qui gonfle son plumage, jusqu’à doubler de volume… ça en parait risible, vu la taille de l’oiseau... Parade nuptiale d’un mâle. Next…

Deux oiseaux en vol décrivent des orbes rapides, saccadés avec des cris d’excitation caractéristiques de l’espèce. Ils sont prêts à en découdre et à bouter l’intrus hors du banc de galets.
Next…
Next…
La matinée s’égrène…
Next…
Next et fin : le peu de soleil de la matinée a réussi à réchauffer les galets et rend maintenant impossible toute détection. A 11 heures, recherche terminée.

On rentre au bureau avec le sourire. Cathy fait le compte, et elle est aux anges ! 12 territoires confirmés de Petit gravelot en une seule matinée ! Elle nous annonce avec malice que c’est le résultat maximum historique de territoires obtenus sur la réserve via la descente en canoë opérée chaque année en juin.
Sacré résultat pour une espèce où 1 couple au km² est plutôt la norme ! La Moselle sauvage est sans conteste un gros site d’accueil, à l’image de la vallée de la Durance où les densités sont de 3 couples au km² car il faut le repréciser, nous n’avons scanné que les bancs d’alluvions fréquentés par le public des 12 kilomètres de linéaire de la Moselle de la Réserve Naturelle Régionale.

Toutefois, soyons lucides… plusieurs raisons peuvent expliquer cette efficience de la méthodologie…
La période de prospection : L’espèce est soumise en fonction des années à de fortes variations dans la réussite de ses couvées (de 25 à 75 %), avec de surcroît une mortalité de 60 % des jeunes avant l'envol (pas facile, la repro du Gravelot…). Des recherches en juin sur de mauvaises années de reproduction limitent ainsi fortement la détection de l’espèce. La meilleure période pour chercher les couples cantonnés ou couveurs se situe dans la dernière quinzaine de mai.

La position des sites de nidification sur les bancs d’alluvion : L'espèce se met systématiquement le plus en en hauteur des bancs, à l'écart du courant (évite les crues), sur un terrain dégagé avec une faible présence de végétation. Difficile quand on passe en canoë de détecter des oiseaux couveurs quand on est en-dessous de ces derniers…

Cathy va maintenant devoir appréhender la mise en défends de certains bancs d’alluvions pour préserver les couples en reproduction de tous dérangements balnéaires. Simple panneau, clôture temporaire, les deux en simultané ? L’enjeu est de taille quand on sait que les adultes sont fidèles aux sites de nidification pour un peu qu'ils restent favorables et que les jeunes produits s'installent dans un rayon de 100 km de leur lieu de naissance (quasi-philopatrique… c’est qui Patrick ?)
 
On a envie de dire un grand Merci à Cathy et au CENL de nous avoir fait confiance et de nous avoir offert l’occasion de « tester » cette belle parenthèse à défendre le vivant, sur une espèce que finalement, on connait peu…

On espère pouvoir renouveler ce beau partenariat l’année prochaine !

La Team « Charadrius » de LOANA & Cathy du CENL

Photos: Loïc Lambert