Un spotteur, il est un peu comme l'étranger de Baudelaire...
Il aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !
Et quand il est inspiré par la colline et bien ça donne ce beau petit texte que l'on partage parce que LOANA c'est avant tout une belle aventure humaine et aussi parce qu'il rend hommage à la belle famille des spotteurs qui s'évertuent à contempler le ciel et à observer le ballet des oiseaux migrateurs depuis 2009.
Nous sommes au virage de la petite route qui chemine en arc de cercle entre les communes de Sion et de Vaudémont, dans le cadre de dominance qu’offre la colline de Sion. La colline de Sion est une curiosité topographique, qui surgit de la plaine du Saintois, encore couverte de bocages et de vergers qu’égaient dès les soirées de printemps les huppes, torcols et chevêches, dévisageant dans sa solitude immuable les contreforts des Vosges, et par beau temps les sommets plus lointains.
La présence dans les sols de la colline des étoiles de Sion, fragments poétiques des âges passés de la planète où ces terres étaient recouvertes par la mer, pousserait la métaphore jusqu’à comparer la colline à l’échine d’un monstre marin, surgissant au milieu d’un océan calme.
C’est le point du jour, un jour de la dernière décade d’octobre. L’observateur installé dans son siège face au Nord et à la basilique de Sion, a inconsciemment décidé pour quelques minutes de ne pas faire ce pourquoi il est là. Il ne compte pas, il regarde. Il ne cherche pas, il attend. Il ne réfléchit pas, il contemple. Il rêve éveillé.
A sa droite, le soleil se lève à gauche du monument Barrès. Un soleil éclatant, rare pour la saison, qui répercute sur les quelques nuages cotonneux des notes de couleurs douces. Sur la colline, chaque aurore est une nouvelle surprise, et bien malin sera celui qui déterminera le temps de la matinée et surtout s’il perdurera.
Ces observateurs ont tout connu, le soleil de plomb, par vent glacé du Nord ou dessicant du Sud, le ciel gris acier, la pluie, fine ou diluvienne, la grêle, les frimas écorcheurs de l’hiver ou encore la neige douce de l’enfance. Et si souvent le brouillard, qu’il rampe depuis la plaine ou s’abatte dont on ne sait où pour engloutir les observateurs.
Le brouillard épais de l’oubli, à qui l’on aurait dû réserver la primauté du souvenir et de la pensée de Maurice Barrès, dont le monument a au moins pour avantage cet étrange pouvoir d’attraction sur les vagues d’hirondelles, qui s’y agglutinent parfois en troupes grouillantes.
Mais il y a aussi ces journées parfaites, comme celle qui se lève aujourd’hui. Celle où la douceur de l’air apaise le corps, où le soleil réchauffe juste ce qu’il faut et où la brise caresse le visage. Celle qui a égaré notre observateur dans sa rêverie.
La colline représente l’intersection entre les routes de l’univers des possibles, et là encore nul ne peut prédire le cortège d’oiseaux qui viendra habiter notre rêveur. Les rondelets roitelets, véritables David se dressant face au Goliath de l’existence, qui viendront quelques minutes amuser avec leurs acrobaties dans le buisson tout proche ? Les mésanges noires, au passage hasardeux d’une année à l’autre, peut être même suivies d’un pouillot à grand sourcil, celui que les bagueurs d’à côté ont à nouveau attrapé cette année ? Les becs croisés des sapins, dans leurs éternelles et hasardeuses pérégrinations ? Les amusantes alouettes lulus ?
Des pigeons ramiers passent, d’abord ces nuages sombres, croisant au large de la colline, formant presque à eux seuls un élément du paysage. Et puis le vrombissement commence, d’abord lointain. Il arrive du fond du vallon, en face, caché par les boisements. Celle que les pyrénéens appellent la vague bleue déferle. Mais ces pigeons ne sont pas bleus, le soleil levant se reflétant sur leur poitrail et le dessous de leurs ailes les rend dorés, leur multitude et leur coordination les rendent hypnotisant. Comment compter de toute façon, quand l’écharpe qu’ils forment s’étend d’un bout à l’autre de l’horizon, quand le front du vol a déjà disparu au dos de la colline et qu’il en arrive encore ?
Devant un spectacle aussi saisissant, notre observateur se demande ce qu’a pu ressentir Audubon, face à des flux de pigeons migrateurs estimés à plusieurs centaines de millions d’individus ? Comment l’être humain a-t-il pu faire disparaître une telle multitude ?
Il viendra encore bien des oiseaux dans cette journée. Une fois le soleil plus haut et le ciel plus bleu, les silhouettes immaculées du vol des grandes aigrettes donnent l’impression qu’un ange passe. Même si d’aucuns préfèreraient des spatules. S’ils appellent à la rêverie, les milans royaux rappellent quels efforts ont mené à la possibilité de les voir encore faire ici partie du spectacle. Leur vol indolent se moque bien de ceux qui ont pu leur nuire par le passé. Les grues cendrées, dans leurs ascensions bruyantes et majestueuses.
Notre observateur devra bien revenir à sa réalité, mais le sentiment qui s’est ancré l’accompagnera encore. L’oiseau migrateur est en lui-même un voyage pour celui qui l’observe, même s’il ne le suit pas. Car comme le dit le sage après tout, l’important dans le voyage est le chemin, pas la destination.
Le soleil se couchera à nouveau sur la colline, quelques heures après le départ des observateurs, après un moment illuminé par la gloire de ce que la nature a à offrir.
Une gloire dont hélas, trop peu se soucient. Pourtant, quelle impression laisserait, au virage de la petite route qui chemine en arc de cercle entre les communes de Sion et de Vaudémont, une stèle qui indiquerait « Passant, va dire en bas de la colline, qu’ici, par respect des lois du vivant, nous observons. ».
Victor Perrette