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Persécutés... pour combien de temps encore ?

18 novembre 2024

Cette année a été marquée par deux faits douloureux pour les Aigles pêcheurs en Lorraine.
 
D’abord fin mars, un cadavre de Balbuzard pêcheur est découvert par hasard par deux naturalistes dans une cavité rocheuse sur la commune de Bellefontaine dans les Vosges. Le cadavre présentait 2 plaies assez caractéristiques d’une blessure causée par arme à feu, mais le projectile a sans doute traversé le corps de l’oiseau et n’a pas été retrouvé. Vu la localisation du cadavre, il est évident que l’auteur du tir a voulu cacher son méfait puisque comme tous les rapaces le balbuzard est une espèce strictement protégée depuis 1972 en France.
 
50 ans plus tard, des furieux de la gâchette continuent de bafouer les lois votées pour protéger des espèces qui avaient alors disparu de la faune nicheuse française suite aux campagnes d’extermination systématiques menées contre les « becs crochus ».
Aujourd’hui, l’enquête diligentée par l’Office Français de la Biodiversité est close et malheureusement les investigations menées n’ont pas permis de retrouver l’auteur des faits. Nous pouvons donc maintenant officiellement communiquer sur ce cas honteux qui vient perturber les efforts mis en place pour protéger cette espèce qui recolonise lentement notre région depuis 2007 (10 couples nicheurs dans le Grand Est en 2023).

 
Un mois plus tard, Jacques-Olivier Travert, le coordinateur du programme de baguage sur le Pygargue à queue blanche en France, nous signale la mortalité suspecte d’un jeune pygargue né en 2023 en Moselle. Nous avions avec Jacques-Olivier bagué et équipé cet oiseau d’une balise GPS permettant de suivre tous ses déplacements après son envol du nid. Ce pygargue avait été baptisé « Michel » en hommage à Michel Terrasse, grand protecteur des rapaces en France toute sa vie et cofondateur du Fonds d’Intervention pour les Rapaces (FIR).
Le cadavre du pygargue a été trouvé au bord d’un étang de pisciculture dans le sud des Ardennes. L’autopsie a révélé un empoisonnement rapide par ingestion de poissons recouverts de « Carbofuran », un insecticide hautement toxique pour l’environnement et interdit en France depuis 2008.
Les analyses de la balise montrent que le rapace est mort en moins de huit minutes après ingestion et qu’il a survolé à plusieurs reprises les mêmes étangs dans les deux jours précédant sa mort. Des recherches ont permis d’identifier le propriétaire et exploitant des étangs concernés, puis trois mis en cause ont été interpellés dont deux ont reconnu les faits en garde à vue.
Outre la destruction du Pygargue à queue blanche et de nombreuses espèces d’oiseaux protégés, notamment de Grands Cormorans, Cigogne noire, Grèbes huppés et Hérons (le moyen utilisé étant non sélectif), ont été retenues des infractions liées à l’usage de produits phytopharmaceutiques, à la chasse et à la législation sur les armes.

Environ 20 kg de produits insecticides composés de « Carbofuran » ont été retrouvés chez le principal mis en cause lors de la perquisition, sachant qu’une dose de quelques grammes ingérée suffit à tuer un oiseau de grande taille comme un pygargue. Le gérant a reconnu avoir utilisé des appâts empoisonnés pour lutter contre le Grand Cormoran ( le pygargue étant une victime collatérale) tout en sachant que le moyen utilisé était illégal et non sélectif. Les poissons contenant le poison et utilisés comme appâts étaient cyniquement appelés « Miam-miam » par le gérant et son employé. De l’humour bien noir comme le plumage du cormoran, leur bête noire…

Pourtant il nous est difficile d’avaler ces explications, le Grand cormoran ne consommant pas de poissons morts. Quelles autres espèces étaient donc visées ? Le Héron cendré ? La Grande aigrette ? Le Milan noir ? Et quid de toutes les espèces animales opportunistes qui se sont nourries de ces cadavres disposés pendant des années durant sur la berge et sur l’eau, morts empoisonnés à leur tour et dont les cadavres ont disparu depuis.
Et pour finir en beauté, des suspicions de tirs sur Balbuzard pêcheur et Cigogne noire (dont une bague a été retrouvée dans la voiture de la société) ont été soulevées et s’ajoutent à ce triste inventaire à la Prévert.


Un premier procès a donc eu lieu au tribunal de Troyes le 30 août, LoANa était sur le banc des parties civiles au côté de 13 autres associations et structures notamment la LPO Champagne-Ardenne, la LPO France, le ReNArd, France Nature Environnement, les Aigles du Léman, la Fédération des Chasseurs des Ardennes et, c’est assez rare pour être souligné, l’Etat français qui s’est également porté partie civile.
Nous avons défendu notre travail mené depuis 2014 au travers de la déclinaison du Plan National d’Actions sur les Aigles pêcheurs en Lorraine et dans le Grand Est. Nous avons été largement critiqués par l’avocat de la défense (c’est de bonne guerre) et dans quelques articles de presse par certains journalistes systématiquement hostiles aux associations de protection de la nature. Ainsi notre travail de sensibilisation de la profession piscicole étant jugé « insuffisant » avec des accusations à peine voilées de gaspillage voire de détournements de fonds publics.

Pourtant lors de plusieurs échanges avec la profession piscicole ces dernières années, aucune problématique liée spécifiquement au balbuzard ou au pygargue ne nous avait été remontée. De plus, les courriers de sensibilisation et d’enquête envoyés par LoANa sur la fréquentation des deux espèces sur les étangs de pisciculture en Lorraine sont restés en totalité lettre morte.
Sans pour autant épiloguer, il était important de défendre notre travail et de remettre l’église au centre du village. Tous nos bilans d’activité détaillés y compris sur les Aigles pêcheurs sont d’ailleurs publics et disponibles sur notre site internet.


Finalement, le jugement mis en délibéré le 01 octobre a reconnu la culpabilité des deux prévenus et de l’entreprise pour la destruction non intentionnelle du pygargue. Cependant, pour les autres espèces protégées (notamment la Cigogne noire) et en l’absence de cadavre faisant office de preuve, les infractions n’ont hélas pas été retenues…

Le gérant a ainsi été condamné pour toutes les infractions avérées à 8 mois de prison avec sursis et 300 euros d’amende tandis que son employé écope de 4 mois avec sursis et 600 euros d’amende. La société quant à elle est condamnée à 40 800 euros d’amende, dont 20 000 euros avec sursis ainsi qu’à verser 32 000 euros à l’état en réparation du préjudice écologique. Enfin au titre des préjudices moraux, matériels et aux frais de justice engagées, les deux prévenus sont condamnés à verser plus de 15 000 euros aux parties civiles dont 2 000 euros à LoANa.

Plusieurs parties civiles ont fait appel du jugement estimant que les peines ne sont pas à la hauteur des infractions.
Ce n’est pas le cas de LoANa puisque nous estimons que le cumul des condamnations et demandes de réparation paraît plutôt juste (au regard des preuves disponibles et en comparant avec d'autres affaires du même accabit).


Maintenant l’heure est à la reprise du dialogue avec la profession piscicole pour éviter que de tels faits se reproduisent et trouver des solutions ensemble sur le règlement d’éventuels conflits entre les Aigles pêcheurs et les piscicultures dans le Grand Est et en France.
 
 
Adieu Michel
 

PS : pour finir malgré tout sur une note positive, « Moselle » la femelle pygargue sœur de Michel et visible en bas à droite sur la photo se porte bien et nous témoigne de l’extraordinaire capacité de déplacement de cette espèce.
En effet, elle a parcouru près de 30 000 km de juillet 2023 à novembre 2024 et va effectuer son deuxième hivernage dans le sud-ouest de l’Espagne dans la région de Séville comme l’année précédente !