Alors qu’une nouvelle grogne agricole menace en ce début d’hiver, rappelons un nouveau lien entre haies bocagères (agricoles, rurales) et biodiversité/perte de biodiversité.
Pas d’agribashing ici, juste des faits, rien que les faits.
Les haies, ces fantastiques reliques d’un patrimoine naturel et culturel européen remontant à plusieurs siècles, supports de nombreux paysages ruraux plus ou moins bucoliques, corridors biologiques pour d’innombrables espèces sauvages, véritables condensé d’écosystèmes forestiers aménagés par les humains et leur bétail en mode linéaire, sont en danger !
Il est peu de chose de le dire, pourtant, chaque année en France, près de 23 500 km de haies disparaissent encore purement et simplement (1).
Pffioutt, shazam ! Envolées, disparition... Victimes d’un aménagement du territoire cynique et inconséquent, de remembrements anachroniques, voire carrément d’une ignorance crasse. Elles sont sans ménagement ni états d’âme mutilées, arrachées, brûlées, effacées, souvent au mépris des règles, celles des Directives européennes (2) , comme des lois françaises, notamment en ce qui concerne la législation – certes lacunaire - concernant les espèces protégées (3).
Pourtant, dans un contexte d’érosion massive de la biodiversité, marqué par l’effrayant déclin et la disparition inouïe sous nos latitudes d’innombrables espèces d’oiseaux (4) ou encore d’insectes (5) - dont beaucoup autrefois communes -, les études concernant le bénéfice indubitable des haies se multiplient : support d’une biodiversité riche et menacée (6), soutien à l’économie agricole extensive (7), lutte contre les pollutions, l’érosion et les inondations (8), stockage du carbone (9), etc. Mais qui s’en soucie vraiment ?
Les programmes de replantations, largement surévalués, sont « poudre aux yeux » : ils correspondent à peine à 13% des surfaces linéaires de haies bocagères annuellement annihilées en France (10). Sans compter qu’une toute jeune haie est bien loin d’assurer la même fonctionnalité écologique et le même potentiel d’accueil biologique que ses vénérables aînées disparues, ce qu’elle mettra - au mieux - plusieurs dizaines années à retrouver (11).
Dans ce contexte morose, une récente étude commandée par la DREAL Grand-Est (12) a été publiée en 2023 par un consortium regroupant le Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE) de Montpellier, l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) Alsace - à laquelle ont activement participé une demi-douzaine d’associations naturalistes partenaires dont LOANA - s’ajoute aux précédentes, enfonçant encore un peu plus le clou sur l’importance fondamentale des haies en termes d’accueil pour la biodiversité en milieu agricole.
Cette étude concerne cette fois le lien statistique entre la présence de haies bocagères et la présence d’espèces d’oiseaux protégées, en région Grand-Est. Le résultat est simple, concis, précis : l’analyse statistique des données récoltées sur le terrain au cours des années 2021 et 2022 suggère que quasiment toutes les haies (95 à 99%) à partir de 50m de longueur hébergent au moins une espèce protégée d’oiseau dans la région.
En gros, la formule mathématique est simple 1 haie de 50 m détruite ou altérée = au moins 1 habitat d'espèce de piaf protégée détruit ou altéré.
Voilà, c’est enfin quantifié, c’est clair... et c’est à partager sans modération !
https://hal.science/hal-04602561/file/Rapport_oiseaux_proteges_haies_Grand_Est_vfinal.pdf
« Plus question d’engluer le diable comme un merle à la pipée » (dixit Aloysius Bertrand) avec des formules toutes trouvées « ouais, mais moâa ch’avais pas qu’il y’ avait une trucustule des bois dans ma haie !, ou encore des « Et qui vous dit qu’y avait une craquenille des champs dans ma haie ?»…
Alors c’est sûr, on entend déjà les gémissements offusqués, les anathèmes des grincheux suggérant que les règles en vigueur sur les haies seraient quand-même beaaaaaucoup trop contraignantes. Mais non non, rassurez-vous, la règlementation sur les haies est malheureusement particulièrement faible (13), les contrôles sont rares (14), les sanctions limitées (15), avec même jusqu’à des dérogations pour des arrachages sans aucune assurance contraignante de replantation (16). C’est dire que les haies en France sont dans les faits extrêmement vulnérables. Dans leur immense majorité, elles sont peu, voire carrément pas protégée du tout…
Pourtant, on l’a vu, les arguments rationnels, scientifiques, logiques, économiques même, ne manquent pas et mériteraient d’aboutir aujourd’hui à une réelle et totale prise en compte des enjeux (écologiques et patrimoniaux, notamment) entourant les haies bocagères, en protégeant légalement, en sanctuarisant même – ne soyons pas frileux - ce patrimoine naturel et culturel si riche, si nécessaire et si menacé. Comme l’architecture ancienne, comme certaines cultures régionales, les haies sont « filles du terroir ». Elles sont le fruit de la combinaison séculaire entre des forces naturelles biologiques et celles découlant des activités humaines, façonnant conjointement les écosystèmes, la distribution des espèces et l’organisation des paysages.
A l’instar de nombreux monuments historiques, des volcans auvergnats (17), du fest-noz breton ou de la baguette à la française (18), les haies bocagères mériteraient d’être enfin reconnues à leur juste valeur, à la fois comme patrimoine naturel et comme patrimoine culturel, et à ce titre, légalement, efficacement et durablement protégées.
JDDC pour la team « bocage vivant » de LOANA