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Quand Nestlé Waters rachète des projets de restauration de la nature initiés par LOANA dans le cadre de la CJIPE!

30 janvier 2025

Il était une fois dans l’Ouest, des Vosges, de jolis paysages et de beaux milieux naturels qui souffraient et qu’il fallait requinquer. Notre joyeuse bande de naturalistes s’attela à recenser les espèces, trouver des gens motivés pour leur protection, sensibiliser ceux qui ne l’étaient pas encore pour les prévenir des trésors dont ils avaient hérité et qu’il fallait préserver. On travailla pendant plus de 10 ans à convaincre, éduquer, chercher des partenaires, faire adopter des programmes de restauration aux bourgs, villages et villes, trouver des financements auprès d’organismes publics. Et cela porta ses fruits. On reconnut notre expertise, on nous confia le soin de replanter des haies et des vergers, de creuser des mares et de poser des nichoirs, d’expliquer les petites bêtes et les plus grosses aux petits et grands enfants.
 
Or sur ce paisible territoire vivait depuis une trentaine d’années seulement un géant très gourmand, sale, et pas très respectueux, ni de l’environnement, ni des lois, ni des gens. Il pompait plus que de raison dans la précieuse nappe d’alimentation de la population, vendait l’eau polluée dix fois plus cher que celle du robinet, rachetait les terres agricoles, truquait les décisions en faisant siéger ses sbires aux commissions, enterrait ses déchets dans les environs … Du moins, pour ce qu’on en sait. Le géant était très riche et impressionnait beaucoup les princes de la contrée. Il avait tant et tant accumulé qu’il était devenu plus riche qu’eux, employait certains de leurs gens et menaçait de les congédier si on l’empêchait de faire ce qu’il voulait.
 
Vint un jour où l’on apprit toutes les magouilles et l’étendue des dégâts causés par le géant. Les nouvelles furent affichées dans tout le pays. On imagina que justice serait rendue, qu’on obligerait le géant à réparer ce qu’il avait fait. C’était sans compter son aura et son influence auprès de ceux qui auraient pu le punir. Ils lui demandèrent de donner quelques piécettes (pas de l’or, non) de son butin et convinrent que l’affaire serait réglée.
 
Trêve de fables. Depuis plusieurs années maintenant, grâce au travail de courageuses et courageux, on sait que Nestlé, a engrangé des milliards d’euros de bénéfices via à la surexploitation de la nappe à Vittel et Contrexéville et que cela a entraîné un déficit conséquent de la ressource en eau. On sait aussi que l’eau soit disant « minérale » était illégalement traitée et contaminée par des bactéries fécales (de l’art de vendre de la merde aux gens, au sens propre du terme). L’entreprise a tenté de privatiser cette ressource vitale en plaçant à la tête de la Commission Locale de l’Eau (CLE) une personne mariée à un directeur de la firme (1), en achetant des milliers d’hectares sur le territoire, via sa filiale Agrivair et en finançant l’association la Vigie de l’Eau, pour ses besoins de communication et d’influence des décisions (2). L’entreprise a enterré des volumes vertigineux de plastique alors qu’elle prétendait les recycler. Elle a trompé les consommateurs, mis en danger notre santé à tous en dégradant significativement et durablement l’environnement et bafoué les lois.

On aurait pu imaginer qu’un procès aurait lieu et que la sanction serait à la hauteur des préjudices commis et de la capacité financière de l’entreprise. Le Code de l’Environnement prévoit en effet que “le montant de [l’]amende est fixé de manière proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements”. Las ! Une décision appelée « Convention Judiciaire d’Intérêt Public » (et qui n’a bien entendu rien à voir avec l’intérêt public) prévoit qu’après que Nestlé aura versé 2 millions d’euros, l’affaire sera classée.

Deux millions d’euros, ça peut paraître beaucoup aux prolétaires que nous sommes. C’est moins d’1 % du chiffre d’affaire annuel de l’entreprise. C’est moins que la surtaxe sur les eaux minérales versée annuellement par Nestlé aux collectivités locales qui s’élèverait à 7 millions d’euros (3) (interview de 2018 du directeur d’Agrivair). Ça représenterait 2h30 de son bénéfice net en 2023 d’après FoodWatch (4). Rappelons ici, pour celles et ceux qui ne manipulent pas tous les jours de tels chiffres, qu’un million de secondes ça fait 11 jours, alors qu'un milliard de secondes ça fait 31 ans. En secondes, « l’amende » de 2 millions d’euros correspond à 22 jours alors que le chiffre d’affaire engrangé par Nestlé équivaut, en à peine un an, à un siècle (plus précisément 105 ans si on considère le chiffre d’affaire de 3,4 milliards d’euros en 2023 d’après Libération (5) soit 38 471 jours si on convertit les euros en secondes ; ça pourrait donc être une amende de 22 euros pour quelqu’un qui perçoit chaque année 38 471 euros ; conséquent et dissuasif n’est-ce pas ?). Et les faits dénoncés durent depuis au moins 15 ans.
 
Le scandale ne s’arrête pas là. Non content d’avoir infligé une sanction ridicule par rapport aux dommages causés et à l’argent illégalement amassé, les décisionnaires ont revendu à la firme des projets déjà en cours et déjà financés à 100 % par d’autres. Comme ça on est sûr que quand on oblige Nestlé à « réparer », on peut afficher en face des résultats concrets. C’est plus facile que de se demander quoi faire, de mener des études, de monter des dossiers, de devoir aller convaincre les gens pour restaurer les milieux… C’est du tout préparé, vite réglé : on a déjà achevé le plus gros du travail et la filière eau de Nestlé va changer de nom, il ne faudrait pas qu’on perde trop de temps. Et puis à bas prix puisque c’est les tarifs du milieu associatif. On est loin de facturer le taux horaire d’entreprises spécialisées. On n’a pas les mêmes charges et on n’est pas là pour faire du profit. Mais du coup, l’intérêt, la plus value écologique, se trouvent où si l’argent que Nestlé doit verser ne permet pas de financer plus que ce qui est déjà prévu et (durement) mené par d’autres ? On n’aurait pas pu espérer de nouveaux et grands projets qui venaient s’ajouter à ceux qu’on avait déjà imaginés ? On rappelle ici qu’en plus de l’argent de Nestlé Waters, Agrivair détient des milliers (!) d’hectares sur le territoire. Il y avait largement de quoi faire plus.
 
Compte-tenu de cette gigantesque mascarade, LOANA a officiellement fait part de sa position aux communautés de communes Terre d’Eau et Ouest Vosgien, principaux concernés par ces accords passés en toute discrétion. Nous ne participerons pas aux projets que nous avions initiés et qui ont été bradés à Nestlé (parce que, pour parfaire le tableau, Nestlé ne les finance pas à 100 %, non, ils reprennent la part qui restait à la charge des collectivités, c’est à dire souvent à peine 20 % ; 20 % des touts petits prix qu’on pratiquait pour favoriser la redynamisation des milieux naturels ; vous avez dit « réparation » ?).
C’est loin d’être neutre pour nous ! : Pour y avoir passé du temps et les avoir conceptualisés du début à la fin, on y tenait nous, à ces chantiers « Triton crêté » et « Pie-grièche » sur la CC Terre d’eau ! C’est aussi un poste de chargé de mission, (celui de Loïc) qui s’en va (au fil de l’eau…) et qu’il nous faut aujourd’hui assurer en autofinancement. L’eau pure qui coule dans nos artères à un coût et il est triste que LOANA est à en payer le prix dans le cadre de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public en matière Environnementale (CJIPE) en cours !
 
Mais pas question d’avoir notre nom à côté de celui de Nestlé/Agrivair/NWS et que certains puissent faire l’amalgame. On avait déjà refusé de figurer dans la CJIPE et de percevoir une partie des 2 millions d’euros. On comprend que d’autres n’aient pas le choix…
 
On avait aussi rédigé une lettre ouverte à Nestlé, début 2021(6), pour les prévenir qu’on ne leur servirait pas de caution environnementale, quand on avait appris l’affaire « des décharges plastiques » alors qu’ils nous faisaient la cour pour nous proposer un partenariat environnemental.
 
Ces cyniques nous ont pris pour des imbéciles et des dupes. Nous ne sommes ni l’un ni l’autre. On continuera d’œuvrer à la remise en état des milieux et du vivant. Pour nous et ceux qui suivront. On le fera avec des gens à qui on fait confiance et qui partagent nos valeurs et l’intérêt général, pas avec ceux qui font passer les intérêts privés avant ceux qu’ils sont censés défendre.
 
On espère vous compter nombreux cette année et les prochaines!
 
On vous espère en bonne santé, pleins d’espoir de faire changer les choses!
 
On entend encore la voix mordante de Renée-Lise résonner en nous , nous intimant de continuer à dénoncer les injustices et les atteintes à notre milieu de vie.
 
On espère qu’à la fin, pour elle, pour l’intérêt général, c’est nous qu’on va gagner !
 
La team"En Vair et contre-tout" de L'eau ANA
 
dessin de Caro et Plesc paru dans Vigousse
 
§ « La Vigie de l’eau, une association au rôle pivot »